La transition de l’influence évangélique vers la laïcité : études de cas historiques et contemporaines
L’influence des mouvements évangéliques sur les sociétés a parfois conduit à des tensions entre la sphère religieuse et les principes laïques, notamment lorsque des scandales ou des événements politiques ont ébranlé la confiance publique. Ce rapport examine plusieurs cas où des régions ou villes initialement marquées par un fort ancrage évangélique ou religieux ont opéré une transition vers un modèle plus sécularisé, souvent en réponse à des crises institutionnelles, des abus de pouvoir ou des conflits sociétaux.
1. Brésil : L’essor et les limites du pouvoir évangélique dans un État constitutionnellement laïc
Le Brésil, constitutionnellement laïc depuis 1891, a connu une montée en puissance des églises évangéliques à partir des années 1980, notamment les courants pentecôtistes et néo-pentecôtistes. Ces groupes, tels que l’Église universelle du Royaume de Dieu, ont capitalisé sur leur implantation dans les quartiers populaires et leur usage médiatique pour devenir des acteurs politiques majeurs. Leur soutien à Jair Bolsonaro en 2018 illustre leur capacité à mobiliser des électorats autour d’un discours conservateur.
Cependant, l’alliance entre évangéliques et pouvoir a exacerbé les tensions avec d’autres groupes religieux et suscité des critiques sur la neutralité de l’État. Les scandales de corruption, comme le Lava Jato (2014-2015), ont affaibli les partis traditionnels et renforcé les appels à une séparation plus stricte entre religion et politique. Bien que le Brésil reste majoritairement religieux, ces crises ont alimenté un débat sur le respect de la laïcité constitutionnelle.
2. Besançon (France) : Le déclin d’une église évangélique emblématique
Fondée en 1963 par Aldo Benzi, l’Église évangélique La Mission de Besançon a connu un essor rapide, comptant jusqu’à 4 000 membres dans les années 1980. Son influence s’étendait à travers un réseau national d’églises. Toutefois, des méthodes de financement opaques et des accusations de dérives sectaires ont entaché sa réputation. En 1995 et 1999, elle figura dans les rapports parlementaires français sur les sectes.
En 2005, une affaire de mœurs impliquant des dirigeants a provoqué une scission et un effondrement de la communauté. Le nombre de fidèles a chuté drastiquement, et les églises affiliées ont perdu leur visibilité publique. Ce déclin illustre comment des scandales internes peuvent précipiter la désaffection religieuse et renforcer les exigences de transparence.
3. Québec (Canada) : De la domination catholique à la laïcité d’État
Jusqu’aux années 1960, le Québec était sous l’emprise de l’Église catholique, qui contrôlait éducation, santé et services sociaux. La Révolution tranquille (1960-1970) a marqué une rupture radicale : l’État a laïcisé les institutions, retirant aux religieux leur pouvoir institutionnel. Cette transition a été accélérée par des révélations sur les abus dans les orphelinats et les pensionnats autochtones gérés par l’Église.
En 2019, l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) a cristallisé les tensions. Interdisant le port de signes religieux aux employés de l’État en autorité, cette loi répondait à des controverses comme celle du crucifix à l’Assemblée nationale, finalement retiré en 2019. Bien que centrée sur l’héritage catholique, elle reflète une défiance accrue envers toutes les expressions religieuses publiques.
4. Lausanne (Suisse) : Polémiques récentes et résistance à l’évangélisation publique
En août 2024, une campagne du Centre évangélique pour le salut, impliquant des prêches sonorisés sur la place Chaudron, a provoqué l’indignation. Des élus ont dénoncé le prosélytisme agressif et demandé l’interdiction des manifestations religieuses dans l’espace public. Cet événement a relancé le débat sur la place du religieux dans une société suisse historiquement multiconfessionnelle mais de plus en plus sécularisée.
5. Nicaragua : Répression étatique et déclin forcé des églises évangéliques
Longtemps tolérées, les églises évangéliques nicaraguayennes ont vu leur statut basculer en décembre 2023 lorsque le gouvernement a arrêté 11 pasteurs et dissous l’ONG Mountain Gateway, accusée de blanchiment d’argent. Ces mesures s’inscrivent dans une vague de répression plus large contre les dissidents, illustrant comment des régimes autoritaires instrumentalisent la laïcité pour étouffer les voix critiques.
Conclusion : Dynamiques communes et singularités
Les cas étudiés révèlent que la transition vers la laïcité survient souvent après des crises de légitimité religieuse—qu’il s’agisse de scandales, de manipulations politiques ou de répression autoritaire. Ces évolutions soulignent l’équilibre fragile entre liberté religieuse et neutralité étatique, où les excès d’un côté alimentent souvent les revendications de l’autre.
Références et sources
- Études sur l’influence politique des églises évangéliques au Brésil (Institut de recherche sociale brésilien, 2020).
- Rapports parlementaires français sur les dérives sectaires (1995, 1999).
- Documents législatifs de la Loi 21 (Gouvernement du Québec, 2019).
- Articles de presse sur les événements de Lausanne (Journal Le Temps, 2024).
- Rapports d’ONG sur la répression religieuse au Nicaragua (Amnesty International, 2023).